Séminaire de lancement du plan d'action contre l'illettrisme dans l'Aisne

Mis à jour le 21/04/2023

Discours introductif de Ziad khoury, préfet de l'Aisne

« C'est presque tout que de savoir lire» comme l'a écrit le philosophe ALAIN.

Quand on maîtrise la lecture, quand on maîtrise l'écriture, on a fait un pas indispensable sur le chemin de la réussite et la liberté.

Ainsi, les territoires avec des populations lettrées disposent d'un avantage pour profiter des opportunités du monde d'aujourd’hui. À cet égard, l'Aisne, qui compte le plus fort taux d'illettrés de métropole, souffre d'un désavantage profond.

Cette situation n'a rien d'inéluctable : on sait comment faire diminuer ce taux. Ce n'est pas facile, mais c'est une question de méthode et de volonté, qui s'adresse à toutes nos institutions.

Le paradoxe est que l'Aisne a été, pendant des siècles, l'un des territoires français les plus féconds en termes de production littéraire.

Dès le Haut Moyen Âge, son territoire s'est distingué par la renommée de son réseau éducatif. L'école de Laon est alors réputée dans toute l'Europe pour la qualité de ses enseignements. Ainsi, c'est dans cette école que le philosophe Abélard étudie avant de composer ses célèbres lettres d'amour à Héloïse.

De même, au XVIIe siècle, c'est sur les bancs du vieux collège de Château-Thierry que Jean de la Fontaine développe son talent formidable de fabuliste, appuyé sur une des plus belles plumes de notre langue. Nous fêterons d'ailleurs le quadricentenaire de sa naissance l'année prochaine.

Enfin, au XIXe siècle, c'est au lycée de Saint-Quentin, qui porte aujourd'hui son nom, qu'Henri Martin apprend à aimer l'histoire de son pays, ce qui lui permettra de devenir l'un des plus grands historiens que la France ait connus.

Et je pourrais encore citer les noms de bien d'autres personnages illustres de cette terre axonaise, comme Jean Racine et Alexandre Dumas, mort il y a 150 ans.

Par ailleurs, l'Aisne est, bien sûr, le berceau de la langue française. C'est dans l'Aisne, à Villers-Cotterêts, que François Ier signe en 1539 l'ordonnance qui impose le français comme la langue du droit et de l'administration. C'est pourquoi le Président de la République a décidé d'y installer une Cité internationale de la langue française.

Pas de justification, pas d'alibi, donc, pour se dérober à un objectif simple : rapprocher tous ensemble le niveau d'illettrisme de l'Aisne de la moyenne nationale sur la base d'un plan d'action partagé entre tous les acteurs.

J'insiste : ce département à la si riche tradition littéraire compte aujourd'hui la plus forte proportion d'illettrés de France métropolitaine. Ainsi, d'après les résultats des tests réalisés lors des Journées Défense et Citoyenneté de 2019, 18 % des jeunes Axonais présentent des difficultés importantes de lecture, soit six points de plus que la moyenne nationale.

Les causes de ce retard se devinent en partie :

- possibilité pour les générations précédentes de trouver plus facilement un emploi sans diplôme ;

- trop faible mobilité géographique et professionnelle ;

- manque d'ambition scolaire et universitaire ;

- difficultés sociales et isolement dans un département à habitat diffus.

Mais nous ne sommes pas réunis aujourd'hui pour dresser un constat. Si nous sommes ici, c'est pour mettre fin à cette situation.

Situation inacceptable, d'abord, car ce fort taux d'illettrisme alimente l'isolement et le déclassement d'une partie de la population axonaise.

Dans notre société contemporaine, savoir lire et écrire sont des compétences fondamentales pour accéder ou retourner à l'emploi. Pensons, par exemple, aux consignes de sécurité qui passent souvent par l'écrit.

Aussi, ce n'est pas un hasard si l'Aisne cumule un niveau élevé d'illettrisme avec un niveau élevé de chômage. D'après l'INSEE, le taux de chômage dans le département au premier semestre était ainsi de 11,1 %, soit le troisième taux le plus important de métropole. L'illettrisme mène donc au chômage.

De plus, celui qui ne sait ni lire ni écrire éprouve souvent des difficultés à maîtriser les nouvelles technologies. L'illettrisme conduit donc à l'illectronisme. Ces deux phénomènes se conjuguent pour couper l'individu de la société et de l'avenir.

Comme l'écrivait Nicolas de Condorcet, natif lui aussi de l'Aisne,

« Il n'y a pas de liberté pour l'ignorant ».

Situation inacceptable, ensuite, car ce niveau élevé d'illettrisme représente un frein pour l'attractivité et le dynamisme du département.

Un territoire avec trop peu de personnes diplômées est un territoire qui attire moins les entreprises et la création de richesses.

Combattre l'illettrisme, c'est donc tout à la fois favoriser le développement personnel et le développement économique et social du territoire.

Situation inacceptable, enfin, car nous savons comment faire sortir un individu de l'illettrisme ou l'empêcher d'y entrer. Il est des domaines où l'Etat ne peut pas tout. En revanche, dans le domaine de l'illettrisme, il peut, avec ses partenaires, avoir une prise directe et mesurable.

A cet égard, notre premier défi est de repérer etde prendre en comptechaque individu concernégrâce à une chaîne d'action resserrée et réactive.

C'est pour mener ce combat que nous sommes ensemble aujourd'hui, en cette semaine nationale d'action contre l'illettrisme.

Cette journée sera consacrée au partage d'idées et de pratiques afin d'élaborer les grandes lignes du plan d'action départemental contre l'illettrisme, qui sera adopté avant la fin de l'année, je l'espèrer avec le plus grand nombre. Nous avons déjà une quinzaine de propositions en tête.

Notre séminaire commencera par l'exposé inaugural du professeur Alain Bentolila, qui vous parlera de ses méthodes d'apprentissage et vous présentera la machine à lire, que vous pourrez tester durant la pause déjeuner.

Ensuite, après l'intervention de Christian Janin, président de l'agence nationale de lutte contre l'illettrisme, deClaire Dubos, que je remercie chaleureusement d'avoir été la cheville ouvrière de cette journée, et Arnaud Leignel, chargé de mission sur illettrisme à la préfecture de région, nous assisterons à une table ronde réunissant les acteurs publics dans le département.

Je suis reconnaissant au Conseil régional et au Conseil départemental de leur présence et de leur concours indispensable. Je me réjouis de la même manière de la présence de représentants de notre Rectorat et du Centre des monuments nationaux.

L'après-midi sera consacré aux témoignages d'acteurs venus d'autres départements pour nous présenter des expériences efficaces et innovantes en matière de lutte contre l'illettrisme.

Enfin, la journée se terminera par un atelier lors duquel nous échangerons nos idées afin de tracer les grandes lignes du plan d'action départemental contre l'illettrisme.

L'épidémie aura fait glisser notre calendrier sans entamer notre ambition. J'ai tenu à maintenir cet évènement pendant la semaine de lutte contre l'illettrisme, même si je mesure les contraintes liées aux mesures de prévention sanitaire dont le port du masque.

Je suis heureux que par votre participation vous montriez votre attachement à ce combat et au département de l'Aisne.

Pour finir, j'aimerais avoir une pensée pour le père Joseph Wresinski. Il fut prêtre pendant dix ans dans notre département, à Tergnier et à Dhuizel, et il fut, surtout, l'inventeur du concept d'illettrisme en 1978. Durant trois décennies, il a consacré sa vie à aider et à instruire nos concitoyens.

J'aimerais, en ce jour, que sa figure nous inspire dans nos ambitions.